99.
AU COMTE COLONNA (Грофу Колони)
8. août 1877.
Monsieur le comte Colonna, consul de France
Scutari Cettigné, le 8. Août 1877.
Monsieur le comte,
Pendant le cours de négovitetions* infructueuses, qui ont eu
lieu entre la Porte et le Monténégro, pour le rétablissement de la paix, je
vous ai donné communication, à diverses reprises, pour votre information et
celé de votre gouvernement, soit des pourparlers pour la fixation du lieu de
réunion, soit des instructions primitivement données à mes délégués à
Constantinople, soit de celles que je leur ai subsequemment envoyées, pour les
autoriser à faire certaines concessions. Je suis convaincu qu'il doit avoir été
rendu unanimement justice-à l'esprit de modération dont j'ai fait preuve
constamment, et cependant on ne sais pas encore complètement jusqu'à quel point
j'ai été dans la voie de la conciliation; car je n'ai pas pu faire connaître
les ordres confidentiels donnés à mes représantants (pour entrer dans les vues
des Puissances) pour leur permettre de céder éventuellement encore d'avantage
sur les questions purement territoriales. Si nous avions rencontré chez nos
adversaires des dispositions semblables, l'Europe aurait eu l'occasion de se
convaincre par les faits de l'étendue et de la sincérité de mon bon vouloir.
Il y avait, néanmoins, deux points de toute importance sur
lesquels il ne m'aurait jamais été possible de transiger: les conditions du
rapatriement des Herzégovi-niens et la situation à faire à la tribu des Kutchi;
sur ces deux questions, je suis assuré que votre Gouvernement ne pourra
qu'approuver mes résolutions.
J'ai insisté dès origine sur ce qu'il ne m'était pas
possible de renvoyer dans leurs foyers les quatre-vingt dix mille Herzégoviniens
réfugiés sur notre territoire, sans m'être positivement assuré qu'ils
trouveraient chez eux, non seulement la sûreté pour leurs personnes, mais les
moyens indispensables de vivre. A nos instances à ce propos, je n'ai obtenu
d'autre réponse qu'une promesse vague d'amnistie et la déclaration que, quant
aux moyens de substance, les émigrés rentrants devraient s'en remettre à la
générosité de la Sublime Porte. Or, je sais malheuresement trop bien ce que
cela signifie. J'ai pourtant fait encore une tentative pour atteindre le même
but d'humanité, tout en ménageant la susceptibilité de la Turquie; j'ai offert
à celle-ci de me contenter des -arrangements qu'elle prendrait, à cet effet,
vis à vis d'une ou deux Puissances en mon lieu et place; je n'ai pas même reçu
de réponse à cette proposition. Le rapatriement des réfugiés; condition
essentielle de tout-est donc devenu impossible.
Il était également (inadmissible que j'abandonnasse la tribu
des Kutchi, que les Turcs, par leur violances, ont forcée à se soulever, même
avant le commencement de la guerre, et qui s'est donnée à moi de son plein gré.
Toute cette population, de près de cinq mille âmes, est déterminée à quitter
son pays plutôt que de rentrer sous le joug. N'ayant pas dans mon petit état de
territoire où je puisse les établir, je dais persister à exiger leur affranchissement. La Porte
n'a jamais voulu entendre parler de céder sur ce point.
C'est sur le refus absolu de la Turque de m'accorder ces
deux conditions le plus essentielles que j'ai dû renoncer à faire sur d'autres
des concessions devenues inutiles et que j'ai rappelé mes délégués.
Voici dix jours que l'armistice a été dénoncé par le grand
vizir et quoiqu'il n'y ait pas eu de rencontre jusqu'ici, les concentrations de
troupes qui se font de toutes parts, annoncent clairement une attaque combinée
et très prochaine. Le Monténégro, exposé seul et sans alliance aux coups de son
puissant voisin, est prêt à défendre son existance par un effort désespéré,
comme il l'a déjà fait nombre de fois. Dans cette lutte disproportionnée, il se
repose avec confiance dans la résolution et le dévouement de ses fils; mais il
espère aussi que l'Europe chrétienne, qud sait ce que sont nos ennemis,
viendra, en cas de revers, sauver les femmes et les enfants que nous laissons
derrière nous.
Je vous prie de vouloir bien, monsieur le comte, transmettre
cette communication à votre Gouvernement, et je saisis cette occasion de vous
renouveler l'assurance de ma haute considération.
* Négociations.
Le prince de Monténégro
Nicolas (m. p.)
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